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Avortement au Maroc : un droit toujours refoulé

9 h du matin, la tension est à son comble devant l’un des cabinets pratiquant l’avortement clandestin à Casablanca. Des jeunes femmes de tous les âges arrivent seules ou accompagnées et abordent les infirmières en toute discrétion. Ce sont elles qui s’occupent d’informer les jeunes femmes, quant au médecin, lui, préfère rester en retrait afin d’éviter les ennuis.

A la porte de l’immeuble, nous abordons Meryem (tous les prénoms sont modifiés), une jeune femme brune et voilée. Elle semblait méfiante et sceptique par moment, mais finit par nous confier que pour elle, il n’est pas question de garder son bébé. La décision d’interrompre sa grossesse a été sagement réfléchie : « je sais que c’est illégal, mais je préfère prendre le risque de m’en débarrasser avant que ma famille le sache », nous confie note interlocutrice. Elle reprend en mordant ses lèvres : « avoir un copain au Maroc est une vilenie, alors imaginez tomber enceinte hors des liens du mariage. Dans tous les cas, je ne pourrai jamais m’en charger, et le jeter dans la rue après sa naissance serait un acte inhumain ».

Elle nous déclare qu’elle n’a pas pu voir le médecin qui lui, préfère rester en retrait. Ce sont ses
assistantes qui lui ont fourni des informations nécessaires par rapport à son opération. « Je suis enceinte d’un mois et demi maintenant. L’opération va me coûter 6.000 dh, c’est cher pour moi mais de toute façon, je ne vais pas trouver mieux. Une amie à moi l’a fait à 20 000 dh« . Elle ajoute avec amertume qu’elle n’aurait jamais imaginé se retrouver dans une telle situation à l’âge de 20 ans et devoir la confronter seule. « Pour moi, des histoires comme celles-ci n’arrivaient qu’aux autres », conclut-elle, la voix enrouée.

Le code pénal marocain prévoit jusqu’à 2 ans de prison pour une femme qui se fait avorter, de 1 à 5ans pour quiconque pratique un avortement sur autrui, de 10 à 20 ans s’il y a décès de la patiente et
jusqu’à 30 s’il y a récidive. Mais malgré leur interdiction, entre 500 à 800 interruptions de grossesse sont pratiquées illégalement tous les jours par des médecins gynécologues ou des sages femmes, généralement dans les grandes villes. Au Maroc, 13 % des cas de mortalité maternelle sont liés à l’avortement.

Artotec : La fausse pilule qui fait l’affaire

Quand le besoin est réel, les moyens ne manquent pas. Se faire avorter clandestinement n’est donc pas le seul chemin à emprunter. Certaines femmes choisissent d’autres alternatives, moins chères, certes, mais pas sans dangers. Yasmine, étudiante en première année à la fac, nous a signalé l’existence de pages Facebook vendant des pilules abortives sous le nom d’Artotec. Ce médicament, utilisé pour soigner les problèmes articulaires et les rhumatismes, possède des propriétés abortives et a été retiré des pharmacies en août 2019 en raison de son mésusage.

« Quand je les ai contactés, j’étais en détresse, je voulais une solution rapide et moins chère. Je savais que ça pouvait mettre ma vie en danger mais vous savez, ce n’est pas vraiment ce qui vous préoccupe le plus quand vous avez un bébé dans le ventre à l’âge de 18 ans et que vous n’en voulez pas », commente-t-elle, quelques mois après les faits. Ce qui l’a convaincue, elle, d’avoir recours à ce genre de pages, ce sont les conversations de remerciement postées par les administrateurs de ces comptes, ainsi que les photos de fœtus avortés. Tous les moyens sont bons pour assurer l’efficacité du produit afin de convaincre les acheteurs potentiels.

Et comme chaque produit commercialisé clandestinement, le prix de vente est dix fois plus élevé que son prix d’origine : 1.500 dh pour une plaque de 10 comprimés. « Avant son interdiction, l’Artotec ne coûtait que 90,90 dh en pharmacie », confirme El Idrissi Adam, docteur en pharmacie à Mohammedia.

Quand les citoyens se mobilisent pour briser les chaînes

Sonia Terrab est réalisatrice et journaliste marocaine mais aussi l’initiatrice du manifeste Hors la loi. Ce mouvement a vu le jour suite à l’arrestation de la journaliste marocaine Hajar Raissouni pour relation hors mariage et avortement illégal. Pour Sonia Terrab, le code pénal marocain compte des lois qu’elle qualifie de « liberticides », qui ôtent aux marocains leurs droits les plus simples et les privent de leurs libertés individuelles. « Les femmes ont le droit de disposer de leur corps et de leur vies intimes comme elles le souhaitent. Ces lois portent atteintes à leurs droits et les oblige à s’aimer en cachette et à ressentir de la culpabilité et de la peur ». Elle finit par ajouter : « les relations sexuelles hors mariages se pratiquent chaque jour, des avortements clandestins sont bien réels, mais la société ferme les yeux tant que c’est caché. Dès que ça devient public on condamne, pourquoi on se voile autant la face ? ».

Lancé il y a plus d’un an, le mouvement « Hors la loi » a prit de l’ampleur et a réussi à faire adhérer plus de 10 000 personnes. Son but ? L’abrogation de l’article 490 du code pénal, ainsi que l’abandon des poursuites et exécutions des peines relatives aux relations sexuelles consentantes, hors des liens du mariage entre adultes consentants, même celles concernant l’avortement et l’adultère.

Pour Ibtissam Betty Lachgar, militante des droits humains, féministe marocaine et cofondatrice et
porte-parole du mouvement MALI, il s’agit d’une question de libre choix. « Les femmes doivent être
en mesure de prendre des décisions sur leur propre corps, faire un enfants si je le veux, quand je
veux, et cela signifie aussi pouvoir mettre à terme une grossesse ». Elle nous explique que ces lois
interdisant les IVG n’empêchent en aucun cas leur pratique dans l’illégalité : « les avortements
clandestins se pratiquent tous les jours dans des conditions misérables, en raison de leur illégalité,
ce qui entraine des infections, hémorragies et plein d’autres complications », détaille-t-elle.

Des efforts fournis qui restent lettres mortes

Malgré plusieurs débats au cours des dernières années sur la question de l’avortement, rien n’a
vraiment changé. Le code pénal marocain est clair à ce sujet. Selon l’article 449, « quiconque, par
aliments, breuvages, médicaments, manœuvres, violences ou par tout autre moyen, a procuré ou
tenté de procurer l’avortement d’une femme enceinte ou supposée enceinte, qu’elle y ait consenti
ou non, est puni de l’emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 120 à 500 dirhams. »

L’avortement reste illégal à quelques exceptions près, quand il permet de sauvegarder la santé de la mère et qu’il est pratiqué par un médecin ou un chirurgien. S’il estime que la vie de la mère est en
danger, cette autorisation n’est pas exigée. Toutefois, l’avis du médecin-chef de la préfecture ou de
la province doit être donné, qui reste opposable, même en cas de refus du conjoint.

Toutefois, un projet de loi avait été adopté par le gouvernement en 2016 pour étendre cet article
453 en donnant accès à l’avortement en cas d’inceste et de malformation du fœtus ou de troubles
psychiatriques de la mère, à condition d’entamer une procédure judiciaire.

Avorter ou abandonner ?

800, c’est le nombre de Marocaines qui se font avorter chaque jour d’une manière illégale. 35 %
des marocaines âgées de 15 à 49 ans y ont eu recours au moins une fois dans leur vie. Des chiffres
choquants quand il s’agit d’un pays ou l’avortement est strictement interdit.

Entre autres, par faute de moyens, pour des raisons extérieures ou pour des motivations
psychologiques, des mères abandonnent leurs enfants après la naissance tous les jours. Selon les
déclarations de Aicha Ech-chenna, présidente de l’Association marocaine de solidarité féminine, « 24
bébés sont jetés à la poubelle chaque jour au Maroc », ce constat repose sur une étude réalisée par
l’association en 2010.

Un phénomène qui s’accentue de plus en plus au fil des années. En effet, le rapport de 2018 du ministère public indique que 360 nouveau-nés ont été retrouvés, dont 189 garçons et 171 filles. Le
nombre d’enfants abandonnés légalement a atteint 1.649 dont 860 garçons et 789 filles. Durant la
même année, 602 enfants ont été mis temporairement dans des centres d’accueil, et 503 ont été
remis de manière temporaire à des familles d’accueil.

La question de l’avortement et de libertés individuelles ne cesse de susciter le débat au sein de
la société marocaine, tandis que le gouvernement reste muet. Des revendications qui semblent ne
pas plaire dans les rangs des islamistes actuellement au pouvoir au Maroc , et qui ont donc une
approche très conservatrice sur l’ensemble des sujets.

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Auteur·e

ilhamtalks

Commentaires

Youssef gh
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Super reportage. Ce n’est pas qu’au Maroc que les femmes continuent de se battre pour leurs droits et luttent contre ces lois qui sont la depuis des lustres. J’espère que toutes les femmes aient leurs droits.

Aicha
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Et bien c'est ça notre société hypocrite

Aicha
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En tout cas c'est un billet réussi bon courage ma fille

Amina mina
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J’adoooree les sujets que tu abordes vraiment bravo

Othmane
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Très pertinent ne mets pas beaucoup de temps à publier le prochain un vrai régal